Djamila Bouhired
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Monument Brunswick

« Je te vois brave comme une lionne d’Oran ».

A Genève, de part et d’autre de l’entrée du Monument Brunswick, deux lions de pierre montent la garde.

Voici l’histoire de quatre frères félidés :

Sur l’ancienne place d’armes d’Oran (aujourd’hui place du 1er Novembre), non loin de là où vivaient mes grands-parents, se dressent deux majestueux lions de bronze ~ comme un clin d’œil au nom de la ville (une des étymologies de Oran, francisation de Wahran en arabe, serait « la Montagne des lions ».

Les lions de Genève et ceux d’Oran sont nés des mêmes mains : celles du sculpteur Auguste Cain, dans les années 1880.

Ces deux lions, à la fois craints et chantés, aimés et redoutés, je les croisais souvent mes jours d’été quand je me promenais enfant, main dans la main avec mon bien aimé grand-père, que j’accompagnais lors de ses commissions au derb, ancien quartier juif d’Oran. Il me citait alors Cervantès, l’auteur de don Quichotte, qui dans sa nouvelle « La petite gitane » confessait : « Je te vois brave comme une lionne d’Oran ».

A l’évocation de la « bravoure », le nom de Djamila Bouhired, emblème de la révolution, nous vient naturellement.

Djamila Bouhired est cette femme algérienne, devenue une figure de la résistance, torturée et condamnée à mort (elle sera finalement graciée en 1959 puis libérée en 1962 dans le cadre des accords d’Evian) par la France pendant la guerre d’indépendance au terme d’un « procès qui n’eut pas lieu, remplacé par un piètre faux-semblant » (Georges Arnaud et Jacques Vergès, Pour Djamila Bouhired, Les éditions de Minuit, 1957). Juste avant la clôture des débats, Djamila Bouhired déclarera à ses juges : « Messieurs, je sais que vous allez me condamner à mort, car ceux que vous servez ont soif de sang […] Mais en nous tuant, n’oubliez pas que ce sont les traditions de liberté de votre pays que vous assassinez, son honneur, que vous compromettez, son avenir que vous mettez en danger, et que vous n’empêcherez pas l’Algérie d’être indépendante. Inch’Allah ».

Aujourd’hui devenue avocate, lorsque je longe le monument Brunswick et que je passe devant les frères suisses des lions algériens, je repense à la petite fille que j’étais dans les dédalles d’Oran et je me dis que ces lions, eux-aussi, doivent avoir un pincement au cœur, fut-il de pierre, de voir leur famille déchirée des deux côtés de la Méditerranée. Et je me prends à rêver que la nuit, lorsque les villes sont endormies, ces frères félidés de Genève et d’Oran se promènent se dégourdir les pattes, peut-être pour se retrouver quelque part tous les quatre et, finalement réunis, rattraper l’Histoire et le temps.

©Affiche du festival réalisée par Sebastian Gross